Je croyais que je dépassais les bornes dans mon dernier papier… et puis OpenAI les a déplacées de quelques milliers d’années-lumière. Nous avons assisté à un schisme : les décélérationnistes, ces dangereux « altruistes » qui pensent qu’il ne faut rien faire pour empêcher un futur moins égalitaire que le présent, ont excommunié les accélérationnistes, ces « capitalistes » radicalisés qui pensent qu’il faut tout faire pour provoquer un futur infiniment plus inégalitaire que le présent. Ces esprits torturés sont convaincus que ChatGPT n’est que la première des sept trompettes de l’Apocalypse.
Le conseil d’administration assure avoir viré Sam Altman pour des raisons personnelles plus que cryptoreligieuses, mais l’un n’empêche pas l’autre et ses actes parlent plus fort que ses mots. Avant de choisir Emmett Shear, le cofondateur de Justin.tv cité dans une fanfic de la série Harry Potter adorée par les « altruistes efficaces », il avait notamment contacté Nat Friedman (Github) et Dario Amodei (Anthropic), parmi d’autres mécènes des millénAIristes les plus convaincus. Quelques semaines plus tôt, Altman assurait avoir vu une machine « tirer le voile de l’ignorance », une déclaration d’autant plus grandiloquente que ce voile est formé… de problèmes de mathématiques pour les écoliers.
Ces gens sont dingues au point de penser avoir réinventé le feu, au point de croire qu’ils peuvent faire advenir l’apocalypse, au point de vouloir se faire martyrs en sabordant une entreprise pesant 80 milliards de dollars — péché capital ! Ils pensent être des dieux théocréateurs, mais leur conduite capricieuse montre que ce ne sont que de petits humains de rien du tout. Altman est finalement revenu parce que les forces de l’argent se moquent bien des petites histoires que ces grands enfants se racontent pour se — et nous — faire peur.
La réalité dépasse pourtant la fiction : la première trompette de l’apocalypse a déjà sonné, « le tiers de la Terre » est bel et bien en train de bruler, sans que cela ne provoque le quart du tiers de la moitié de la réaction aux farces altmanesques. Ces gens sont doublement dangereux, parce qu’ils sont incapables de concevoir le véritable danger, mais sont bien capables d’en créer un deuxième1. Le monde est foutu parce que les riches sont fous, le monde peut être sauvé en sacrifiant les riches. Voilà la mienne, de religion.
Ici
Clichés
Avant d’atteindre la barre des 200 clichés, je me suis décidé à les redévelopper avec Photomator, qui semble être un parfait compromis entre Photos (dont le moteur de dématriçage est infect) et Lightroom (qui est trop cher pour mes besoins). Je me suis créé un préréglage rappelant très vaguement le film Kodak Gold 200 qui a capturé mes rares souvenirs d’enfance, et j’ai surtout réexporté tous les fichiers dans la plus grande définition possible pour créer des variations de meilleure qualité sur les grands écrans connectés aux réseaux fibrés et plus légères sur les petits écrans connectés aux réseaux cellulaires. Je suis surpris d’être souvent d’accord avec mes anciens choix de recadrage ou de compensation de l’exposition, je suis soulagé que ce ne soit pas encore toujours le cas.
Mes photos du mois de novembre :
- Bacaro (Barcelone)
- Vélo #4 (Strasbourg) — au bistro à vélo, le bistro sur le vélo.
- Antiquaire J.L. Brunel (Paris)
- Accroché #4 (Lyon) — ce R, ce M, ce N, ces E, ce 2 à l’arrière-plan !
Épisodes
Quand nous ne repoussons pas notre enregistrement mensuel d’un ou deux jours, nous le repoussons… d’une ou deux semaines. J’adore passer ces quelques heures avec Arnaud, d’autant que je ne souffre plus du montage maintenant que je maitrise Ferrite sur le bout des doigts, mais je ne peux pas m’empêcher de me demander combien de temps nous tiendrons. Puis je reçois le message mensuel du dernier de nos auditeurs et tous mes doutes s’envolent.
Notre épisode du mois de novembre :
Lectures
Je redécouvre Le masque et la plume au moment même où Jérôme Garcin prend sa retraite radiophonique. La méchanceté primaire des intervenants qui ne connaissent que l’acception négative du mot « critique » (souvent des mecs), la culture étalée à la truelle pour masquer l’indigence du propos du plumitif (toujours des mecs), et parfois la joie simple et naïve retrouvée au coin d’une page (rarement des mecs) me font dire que j’ai encore un peu de boulot (en plus je suis un mec). Surtout avec ces jeux de mots foireux pour titres.
Mes lectures du mois de novembre :
Souvenirs
Doucement mais surement, je poursuis le chantier de ravalement de métro[zen]dodo. Le cahier A4 emprunté à Norman Foster m’aura poussé à reprendre mes expérimentations autour du concept de « page » entamées… disons « il y a plus de neuf ans » pour ne pas dire « il y a une décennie ». Que je m’inspire éhontément des magazines ne veut pas dire que j’oublie que métro[zen]dodo est un programme informatique.
« Depuis que tu as évoqué cette idée d’interfaces qui “s’usent” et évoluent au fil des saisons ça m’obsède », dit Pascal Batty, la dégradation de la qualité des fichiers en remontant le fil de mes redéveloppements me ravit parce qu’elle montre très littéralement le temps qui passe, les photos numériques pixellisent et parfois disparaissent comme les photos argentiques jaunissaient et parfois pourrissaient. Une discussion avec Benoît Launay, qui vient de relancer ses Souvenirs de Nulle-part, m’a convaincu de mettre une vieille idée en œuvre. métro[zen]dodo change maintenant de couleur pour marquer le passage des saisons, comme un antidote poétique à la morosité des interfaces soi-disant « modernes ».
Mon souvenir du mois de novembre :
Ailleurs
Apprendre
L’art de la parenthèse :
(The first person to use the word ‘outsider’, according to the OED, was Jane Austen, in a gossipy letter to her sister Cassandra detailing the presence one evening of ‘a whist & a casino table, & six outsiders’).
Écouter
Je suis agréablement surpris par les progrès récemment accomplis par Apple Music. L’algorithme de recommandation semble ENFIN prendre en compte les indications de l’auditeur, si bien qu’il est désormais rare que je trouve autre chose que du jazz et de l’électro dans la rubrique Écouter, même si Apple glisse parfois un album de blues ou de pop-rock pour me rappeler que j’ai été plus jeune.
Les suggestions n’ont plus de sautes d’humeur, mais mes découvertes hebdomadaires déterminent subtilement la quantité de lignes de recommandation de classique ou de hip-hop. Les notifications de sorties arrivent en temps et en heure et restent opportunément près du champ de recherche de l’application iOS. La progression des informations sur le personnel, une forme de navigation latérale héritée d’Apple Music Classical, n’est pas loin de donner envie d’économiser le prix de mon abonnement à Roon. Surtout depuis que c’est une filiale de Samsung.
Mais aussi :
- Jordi Savall et le Concert des nations à l’auditorium de Lyon — toujours un délice.
- Nils Frahm à l’auditorium de Lyon — une expérience proprement viscérale, jusqu’à la rage qui m’a animé lorsqu’un téléphone a sonné (évidemment) pendant le passage le plus délicat du concert.
- Louise Jallu Quartet à l’espace Tonkin de Villeurbanne — je ne me suis pas ennuyé une seule seconde, mais si c’était pour écouter l’album, j’aurais pu rester chez moi.
- Kurt Rosenwinkel & Jean-Paul Brodbeck à l’espace Tonkin de Villeurbanne — un son très chaleureux, parfois trop, mais je suppose que c’est ce qu’il faut en cette saison.
- No One Is Forgotten: An Immersive Opera — un « opéra radio » en Dolby Atmos, truc le plus étrange (mais aussi le plus puissant) que j’aie écouté cette année.
- ma playlist mensuelle sur Apple Music
Lire
IA réinvente le suivi des modifications… sans jamais mentionner le suivi des modifications, ni chercher à enrichir la spécification CriticMarkup, qui aurait pourtant convenu. Sauf que leurs « annotations Markdown » ne sont pas conçues pour une utilisation réelle, mais comme un simple prétexte pour exploiter la négativité provoquée par la moindre mention de ChatGPT et justifier les 120 € (!) demandés pour un éditeur perclus de bugs confondants. Cela me rappelle la fois où ils avaient « inventé » — et tenté de breveter — une fonctionnalité du système. L’arrogance infinie du marketing outrancier, et le pire, c’est que ça marche.
Mais aussi :
- « The beauty of finished software » (Jose M. Gilgado)
- « Multichannel mixes are more dynamic than 2-channel, stereo releases » (Archimago’s Musings)
- « Computers Are Magical; Computers Are Awful » (Pixel Envy) — c’est exactement cela.
- « Spain lives in flats: why we have built our cities vertically » (ElDiario) — un superbe exemple de visualisation de données.
- « It happened through a book » (Chris Glass)
- « The art of making apps for the small screen » (WePresent)
- « A Coder Considers the Waning Days of the Craft » (The New Yorker)
- « Oops! We Automated Bullshit » (Alan Blackwell)
- « How I Read 40 Books and Extinguished the World on Fire » (Emily F. Gorcenski)
- « DAK and the Golden Age of Gadget Catalogs » (Cabel Sasser)
- Emissions Gap Report 2023 (UNEP) — la couverture est terriblement superbe, le titre est superbement terrible, mais ils prouvent aussi que l’ONU n’a pas la moindre once de pouvoir et ne peut rien faire d’autre que rire pour éviter de pleurer.
- « Peter Thiel Is Taking a Break From Democracy » (The Atlantic) — non, vraiment, je n’ai pas dépassé les bornes dans mon dernier papier.
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Que les choses soient bien claires, je crois que le rêve de l’« intelligence artificielle généraliste » n’est rien d’autre que cela, un rêve. Mais du rêve au mirage, il n’y a qu’un pas. Une multitude de petits agents spécialisés unifiée derrière une seule et même interface ne pourra probablement pas être distinguée d’un seul et unique « Dieu numérique ». C’est moins cher et cela fait illusion, alors pourquoi faire l’impossible ? « Un ordinateur mériterait d’être qualifié d’“intelligent” s’il peut tromper un humain en lui faisant croire qu’il est humain », disait Alan Turing, et il avait tort, cela ne prouve que notre bêtise. Nous n’avions pas peur de la nuit avant d’inventer le feu qui projette les ombres des tigres de papier. ↩︎